Chronique 70 - Ecclésia Catholicos : Refonder l'Assemblée Universelle des Citoyens Vivre ensemble suppose l’acceptation de nos erreurs respectives, toutes bien humaines. Pour décider ce qui est permis et ce qu’il faut encourager, il nous faut un curseur commun qui préside à une évaluation commune. A l’échelle de la société, la clé réside dans l’affirmationd’un système de valeurs partagées.
Les grands producteurs historiques de systèmes de valeurs partagées sont les religions. La lecture laïque des trois grandes religions du Livre amène à les considérer comme trois étages d’un même projet d’organisation du vivre ensemble, chacun avec sa force et sa limite.
Chaque juif est responsable de tous les juifs
La devise juive Chaque juif est responsable de tous les juifs assoit deux valeurs indissociables. Première valeur explicite : la responsabilité. Chacun doit être responsable, responsable non pas seulement de sa vie, de sa maison, de son emploi (…), mais responsable des autres, et même de tous les autres. Cette solidarité, seconde valeur implicite, n’a qu’une limite : elle n’est tournée que vers ceux qui assument ce même principe de responsabilité réciproque. C’est-à-dire vers chaque juif, et seulement chaque juif, dont l’appartenance à la communauté organise un travail de mise en question qui exerce et affute l’esprit critique. Pour se convaincre de l’efficacité de l’articulation du binôme responsabilité-solidarité, il suffit de consulter la liste des prix Nobel (1 juif sur 4), des plus grandes fortunes mondiales, ou encore la première place d’Israël dans l’agrégat Performances dans L’état social du Monde.
Église catholique, Assemblée universelle des citoyens
Le projet chrétien est d’étendre ces deux valeurs à l’humanité dans son ensemble. Pour s’en persuader, il suffit de retourner à l’étymologie de sa plus grande institution, l’Église catholique, qui vient du Grec Ecclésia catholicos : dans la Grèce antique, l’Ecclésia était l’assemblée des citoyens, versus la Boulé, qui était l’assemblée des aristocrates ; Catholicos signifie universel. La traduction littérale d’Église catholique est donc Assemblée universelle des citoyens. Or, pour les Grecs anciens, pères de la philosophie politique, être citoyen ne se réduit pas au seul statut administratif, mais repose surtout sur une posture éthique de responsabilité, un devoir de s’impliquer dans la co-construction d’un avenir collectif meilleur. Cette responsabilité doit donc s’exercer d’égal à égal, en solidarité avec tous les autres citoyens, chacun se faisant un devoir d’apporter sa pierre dans l’édifice commun. L’octroi du statut de citoyen constitue donc un pari que le bénéficiaire assumera l’intérêt général, et qu’il le fera de surcroit en coopération avec tous les intérêts particuliers à long terme de tous ses concitoyens. Mais, comme Nietzsche l’indiquait, un tel objectif n’est à la portée que de surhumains.
Car, plongées dans les contraintes de leur vie quotidienne, une personne normale ne cherche que bien peu à comprendre la diversité et la complexité de tous ses interlocuteurs. En pratique, qui aurait vraiment le temps, les moyens, l’envie et la compétence pour entrer dans l’intimité des intentions et le discernement précis des causes et conséquences des actes d’autrui ? Qui y parvient déjà pour soi-même ? Socrate nous a fait mettre le doigt sur la nécessité d’une méthode exigeante de questionnement et de discipline intellectuelle pour progresser dans le Connais-toi toi-même.
Islam, soumission à l’intérêt général
C’est pourquoi, face au risque élevé de perdre le pari d’étendre la responsabilité et la solidarité au niveau universel, Mahomet perce un raccourci. L’Islam, soumission en arabe, enjoint de se soumettre par avance à l’intérêt général, d’accepter qu’il n’est pas de dimension humaine d’embrasser la complexité du monde. S’il est logique a priori, ce consentement au statut de sujet d’un pouvoir supérieur, embarque néanmoins une limite lui aussi : le renoncement à tenter de maîtriser son destin réduit l’esprit critique et l’engagement constructif. Car l’affaissement de la responsabilité intellectuelle de la personne restreint sa participation féconde aux affaires privées et publiques, laquelle peut alors se réduire à une expression simplifiée de contestation et de refus. Aussi, ordonner le respect d’un intérêt général prédéfini par d’autres fait courir le risque de la résignation à ne pas le chercher, et donc de ne pas le trouver et de ne pas contribuer à son accomplissement.
Conjuguer les forces des trois étages : réarticuler l’ecclésia catholicos
La direction à prendre est donc claire : il nous faut organiser la recherche de l’intérêt général, en raisonnant ensemble en adulte-citoyen, avec tout le monde, et en sachant que personne ne sait tout.
Cela suppose l’instauration d’une nouvelle méthode utile en même temps à l’échelle de la plus petite organisation qu’aux niveaux national, européen et mondial (consulter toutes les chroniques Discours de la méthode II). Alors, déployée sur les grands sujets les uns après les autres, l’ecclésia catholicos adviendra vraiment en pratique !
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